Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de benjamin borghésio
Derniers commentaires
Archives
6 février 2016

Déchéance de nationalité : « Associer la binationalité au terrorisme, ça laisse des traces »

 

4860064_6_351f_le-sociologue-michel-wieviorka-et-l-historien_517a72b1a60fafe3987d638a8242e326

L’Assemblée nationale étudie à partir de vendredi 5 février le texte de révision constitutionnelle portant, entre autres, sur la déchéance de nationalité. Si, au terme de trois mois de débat politique, le texte ne fait plus mention des binationaux – quoique la déchéance ne concerne de fait que des personnes ayant une double nationalité –, la question ne s’en est pas moins introduite dans l’opinion publique.

Avec quelles conséquences ? L’historien Pap Ndiaye, spécialiste des minorités en France et aux Etats-Unis, et le sociologue Michel Wieviorka, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales – et par ailleurs un des initiateurs de l’appel à une grande primaire à gauche avant 2017 – ont été interrogés séparément par Le Monde. Ils évaluent les stigmates que le débat pourrait laisser au sein de la population française.

L’Assemblée nationale étudiera à partir de vendredi 5 février un texte où la référence à la binationalité ne figure plus. Malgré cela, quelles traces ce débat a-t-il laissées dans la société ?

Pap Ndiaye : Ce triste projet de révision constitutionnelle a pour conséquence de faire de la binationalité un problème, de singulariser les binationaux comme des Français à part, justiciables d’un droit particulier. Il favorise une forme de suspicion à leur endroit en remettant en cause l’égalité des citoyens devant la loi.

Michel Wieviorka : On a associé la binationalité au terrorisme. Même si dans le projet initial, le lien entre les deux thèmes était limité à des cas très particuliers, le mal était fait. Malgré les discussions et les arrangements, c’est ça qui a fait mal et qui laisse des traces.

Comment cela se traduit-il dans l’opinion publique ?

Pap Ndiaye : Des gens qui ne se seraient jamais posé la question auparavant commencent à s’inquiéter du fait qu’il existe des binationaux et réclament la suppression de la binationalité. Ce discours, initialement confiné à l’extrême droite, se diffuse dans la société, y compris à gauche. Bien entendu, il vise surtout celles et ceux qui font déjà l’expérience de n’être pas tout à fait considérés comme français, celles et ceux qui n’ont pas « la bonne tête ». Mais comme cela ne concerne qu’une petite partie de la population, la majorité reste attentiste.

Michel Wieviorka : Dès qu’on ouvre des débats sur la nation ou sur l’identité nationale, l’horizon est clair : il s’agit de dire qui est dedans et qui est dehors, ou qui est susceptible d’être dehors. Je pense que c’est nécessairement dangereux, car à partir du moment où l’on dit que certains ne seront plus dedans, on s’attaque à des principes intouchables jusqu’alors : l’universalité et l’égalité face à la nationalité. L’Histoire montre que quand on a utilisé ce genre de thématique, ça a toujours été de façon inquiétante, la politique de Vichy en la matière est restée dans les esprits.

Mais je crois aussi que ces thèmes traduisent autre chose de notre société : ils s’inscrivent dans un contexte de droitisation de la vie politique, de crise économique, dans un contexte où les appels à une nation forte et homogène ont une certaine puissance. A partir du moment où les actes terroristes sont à la fois le fait d’une action organisée de l’étranger et portés par des gens issus de l’immigration, le réflexe national, les références à l’homogénéité culturelle, voire religieuse, viennent très vite répondre aux peurs et aux inquiétudes.

Quelles conséquences ce débat a-t-il eues sur les personnes ayant une double nationalité ?

Pap Ndiaye : Il faudra voir dans le temps, mais on observe déjà plusieurs types de réactions. Certains soutiennent la mesure, en pensant qu’elle ne concernera finalement que quelques terroristes. Beaucoup s’indignent qu’on les distingue ainsi du reste de la société française, et s’inquiètent à juste titre des évolutions futures de la loi : aujourd’hui les crimes et les délits terroristes. Et demain ? Que ferait le FN d’un tel arsenal judiciaire s’il parvenait au pouvoir ?

4841150_6_39b7_des-drapeaux-etrangers-au-memorial-improvise_7b4d0f9a5bddb121a3d27663001c5691Lire aussi : Face à la déchéance de nationalité, l’amertume des binationaux

Le débat sur la déchéance de nationalité a également agi comme un poids de plus pour des populations issues de l’immigration déjà victimes de stigmatisation.

Pap Ndiaye : Quand on parle de binationaux dans ce débat, on ne fait pas allusion aux Franco-Américains ou aux Franco-Britanniques : on parle implicitement de nos concitoyens issus des migrations post-coloniales. Pour eux, la question de la discrimination se pose depuis longtemps, dans leurs rapports avec la police, dans leurs difficultés à trouver un travail ou un logement. Le débat sur la déchéance de nationalité risque de renforcer leur sentiment de stigmatisation.

Michel Wieviorka : Ce débat a envoyé un message contradictoire. Quand on rappelle à une partie de la population qu’elle n’est pas exactement comme les autres, on ne peut pas, en plus, lui tenir le discours de l’intégration républicaine. On ne peut pas dire « intégrez-vous, soyez citoyens, et si vous n’êtes pas de bons citoyens, alors sachez que vous serez traités différemment des autres citoyens ». Dans ce contexte, je comprends le malaise au sein de certaines populations et je le partage.

Quand on sait que la stigmatisation est l’un des ferments de la radicalisation de certains jeunes, et donc de certains actes de terrorisme, peut-on estimer que le débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux risque d’avoir un effet contre-productif ?

Pap Ndiaye : Je pense qu’en plus d’être rigoureusement inefficace pour lutter contre le terrorisme, la mesure peut avoir des effets délétères en accroissant, pour les binationaux, le sentiment d’être étranger chez soi.

Michel Wieviorka : Il ne faut pas aller jusque-là. Les sources du terrorisme sont compliquées à analyser et les processus qui y mènent ont une épaisseur historique considérable. Je ne crois pas non plus que cela puisse accentuer des logiques terroristes, ou alors de manière infime. Même si on ne peut pas exclure que, par exemple, dans cinq ans un tueur y fasse référence.

    Manon Rescan
    Journaliste au Monde

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Le blog de benjamin borghésio
  • Républicain, tendance "gauche jacobine". Préoccupé par les questions socio-économiques, de même que par les questions d'environnement . Amoureux du Brésil et de la Guyane. Photographe, grand lecteur, fondu de vélo.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
19 abonnés
Publicité