Quand une institution créée par Napoléon en 1807 est en train de se substituer à la Représentation nationale, issue du peuple souverain.

Avec la complicité de l'exécutif, qui se défausse sur elle pour ne pas endosser la responsabilité de l'austérité

Il y a quelques années seulement, le rapport annuel de la Cour des comptes constituait un florilège des gaspillages, des détournements, des fautes, parfois des scandales qui entraînaient des pertes financières substantielles. A côté de quelques données de fond, elle présentait quelques délicieuses "perles" qui montraient à quel point une administration pouvait dilapider les fonds publics par sa rigidité, son incompétence ou par une absence de suivi des politiques prescrites. Plus rarement, à la suite d'opérations crapuleuse.

Cette piqûre de rappel était salutaire et permettait de mettre un point d'arrêt à certaines dérives, de récupérer des sommes perdues et d'écarter des personnalités manifestement incompétentes ou douteuses dans leur comportement. Cette vénérable institution dont les membres dont des magistrats indépendants ne sortait pas de son rôle.

Parce que dans une démocratie parlementaire - ce qu'est la France même si le pouvoir présidentiel est hypertrophié -, la politique budgétaire est définie par le Parlement (le budget est une loi dont le projet est soumis par l'exécutif, voté après discussion en commissions des finances et examen des amendements). Depuis quelques décennies, une part grandissante de la souveraineté nationale a été érodée, des traités imposant des contraintes extérieures (Maastricht, par exemple) et des directives européennes impliquant la transcription "mécanique" de recettes ou de dépenses.

Il n'empêche: la majorité prenait ses responsabilités en présentant un projet sur lequel elle s'engageait, et l'opposition se faisait un devoir de le critiquer (de manière beaucoup plus consensuelle en commission qu'en séance plénière). Ce n'est pas pour rien que la discussion budgétaire était un moment privilégié ou les confrontations d'idées avaient lieu: politique de l'offre, ou de la demande? Choix d'une relance, ou de l'austérité? Soutien à tel ou tel secteur de l'économie?

Un budget est la transcription d'une politique et ce qui menace le plus la démocratie avec la montée du FN, c'est de plus en plus le fait que la politique budgétaire - donc la politique tout court - proposée par les majorités successives (autour de l'UMP et du PS) sont en fait très proches l'une de l'autre. L'UMP aurait sans doute taillé un peu plus dans les dépenses et augmenté un peu moins les impôts que la majorité actuelle ; mais en valeur relative, les variations n'auraient sans doute pas dépassé 5% des sommes en jeu.

Cela devient gênant pour un pouvoir (surtout quand son représentant s'est fait élire sur le thème "mon ennemi, c'est la finance"), de faire peu ou prou sur le plan économique et social la même politique que le prédécesseur tant honni (à juste titre). Certes on fait diversion en fabriquant des débats sociétaux qui mettent le pays à feu et à sang alors qu'ils concernent quelques milliers de personnes - le "mariage pour tous" -, on s'arrange pour que la discussion sur ce thème s'éternise, on se ravit que l'opposition, par la voix de certains de ses membres, diabolise le gouvernement en le gauchisant ainsi de manière tout à fait artificielle, mais le peuple, au fond de lui, n'est pas dupe.

C'est à ce moment que "la Cour des Comptes réclame 28 milliards de baisse de dépenses en deux ans". Mais de quel droit? Les magistrats de cette institution ont-ils été élus? Représentent-ils la nation? De telles postures sont aussi scandaleuses que si le pouvoir mettait un terme à l'indépendance de ces magistrats, et leur interdisait d'exercer leurs fonctions ou de publier leurs rapports. A chacun son rôle, et si le magistrat dit le droit, il ne le fait en aucune manière!

Que la Cour des Comptes dénonce l'insincérité de tout ou partie d'un budget voté par le Parlement, et on ne pourra que l'en féliciter. Qu'elle se permette d'agir en amont pour le façonner est un scandale que le parlement tout comme l'exécutif (responsable devant ce dernier) devrait dénoncer avant de remettre les "sages" de la rue Cambon à leur place (certes éminente, mais qui n'est ni à Matignon, ni au palais Bourbon, ni au Palais du Luxembourg).

Seulement voilà... cela arrange bien le pouvoir, de voir ainsi tracer le chemin de l'austérité... Ils pourront dire que ce n'est pas de leur faute, quand on réduira l'accès aux soins, à l'éducation, à la justice, au logement, quand on diminuera le montant des pensions de retraite, quand on réduira les bourses universitaires, quand on augmenera massivement les tarifs des services publics, etc. La Cour des Comptes l'aura prescrit (et comme ses membres ne sont pas soumis aux aléas du suffrage universel, c'est tout bon). En outre si un gouvernement quel qu'il soit appliquait la moitié des prescriptions énoncées par "les Sages", il déclencherait un feu nucléaire social.

Dans l'absolu, s'il y avait un "trou" de 28 milliard à combler de toute urgence pour tenir les objectifs budgétaires fixés par la représentation nationale, s'il fallait établir un collectif de cette ampleur, la Cour des Comptes n'est en rien fondée à décréter qu'on doit agir sur les dépenses. (quand elle est dans son rôle si elle signale que par rapport à la loi de finances, le différentiel est de ce montant). Le choix politique peut porter en totalité sur les recettes, sur les dépenses, ou en panachant. Et si l'exécutif avec l'aval du Parlement décide de reporter à plus tard la réduction des déficits pour soutenir l'activité et éviter le chômage massif, s'il l'acte en prenant ses responsabilités par rapport aux engagements internationaux, c'est son affaire. Le rôle de la Cour des Comptes est de veiller scrupuleusement à ce que ce qui a été voté est exécuté honnêtement, de signaler les gaspillages manifestes, de proposer des moyens de remédiation. C'est beaucoup, et c'est assez.

Cette dérive dans le rôle de la Cour des Comptes s'ajoute aux prescriptions et directives sous forme de fatwas émanant de Bruxelles, à la tentation, pour le Conseil constitutionnel, de sortir de son rôle qui est de veiller au respect de la Loi fondamentale pour entrer dans une phase d'interprétation exhaustive de celle-ci, qui en fait un législateur de facto (mais non élu), à la mainmise de certaines administrations (syndrome de ces haut-fonctionnaires de Bercy qui se permettent de faire attendre des ministres de longues minutes avant de les recevoir pour montrer où est le vrai pouvoir). C'est le gouvernement par les techniciens, par les experts.

Bref, c'est la synarchie, négation même de la démocratie, et on roule sur la pente. Il est temps de refaire de la politique, justement pour réconcilier les citoyens avec cette dernière.

benjamin borghésio

Cour des comptes - la dérive synarchique.

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