Dans la famille "hystérie", je demande le lion Cecil.
"Si Cecil avait été un Africain tué par un dentiste, /... moins de gens auraient exprimé leur indignation."
Un lion a été tué au Zimbabwe. Dans le cadre d'une forme de chasse courante là-bas, des safaristes friqués parcourent la savane avec un guide, ayant obtenu le droit de tuer tel ou tel animal contre le paiment d'une forte licence. Pratique légitimenent contestable, mais légale. Après l'hystérie du moment et la mise à mort virtuelle - pour le moment, en attendant qu'un dingue poussé par l'hystérie collective passe à l'acte - on commence à entrevoir la vérité:
L’organisateur du safari au cours duquel un chasseur américain a tué un lion à crinière noire protégé au Zimbabwe a affirmé vendredi avoir « obtenu un permis » et n’avoir rien fait « d’illégal », ajoutant que son riche client du Minnesota était « totalement innocent ».
Joint au téléphone par l’AFP à Bulawayo, la deuxième grande ville du Zimbabwe, Theo Bronkhorst a confirmé que le chasseur Walter Palmer avait payé 55.000 dollars, acquitté en toute légalité par virement bancaire. Palmer, dont le Zimbabwe a demandé l’extradition, « est totalement innocent dans toute cette affaire. Il a effectué et acheté une chasse auprès de moi qui était légale », a-t-il dit. « J’ai été engagé par un client pour organiser une expédition de chasse pour lui, et nous avons tué un vieux lion mâle dont nous pensions qu’il avait passé l’âge de se reproduire. Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit d’illégal », a-t-il déclaré. (source 20mn.fr / afp)
Ce lion, âgé de treize ans au moment de sa mort, était-il le roi des animaux, leader charismatique des félidés africains qui le reconnaissaient comme tels ou, plus rationnellement, n'était-il - c'est déjà beaucoup - qu'un bel animal encensé par les hommes ? Poser la question c'est y répondre, et on voit encore une fois à quel point l'hystérie et la dictature de l'émotion empêchent tout raisonnement cartésien. On peut bien entendu déplorer que la chasse aux lions soit autorisée au Zimbawe et ailleurs ; il est légitime - surtout quand on est citoyen du Zimbawe - de militer pour la fin de cette pratique mais de grâce, sachons raison garder.
W. Palmer qui ne fit consciemment rien d'illégal se retrouve traqué sur son lieu de vie, sur son lieu de travail et les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs de haine qui démultiplient (sans doute au nom du respect de la vie) des appels à son assassinat, de préférence en employant les moyens les plus barbares. De ce fait il est contraint de se terrer et de cesser toute activité professionnelle et sociale.
Poser la question c'est y répondre? Quoique... dans la série foutage de gueule, demandons Karen Anderson, médium américaine, spécialiste de la communication avec les animaux morts ou vivants
Déclaration posthume de Cecil, recueillie par la dame (Cecil apparemment prophète animé par le seul amour des autres et de ce fait il ne mangeait sans doute que de la laitue, il ne tua aucune créature vivante en treize ans d'existence)
« Ne vous laissez pas vaincre par les actions d’une poignée d’hommes et ne laissez pas entrer les ténèbres dans votre coeur. Augmentez votre vibration et utilisez cette énergie pour aller de l’avant. Il n’y a plus besoin de discuter de ce qui s’est passé. Ce qui est fait est fait […] Je suis mieux que je ne l’ai jamais été, plus grand qu’auparavant et personne ne peut nous prendre notre pureté, notre foi et notre âme. Jamais. Je suis là. Soyez forts et parlez au nom de tous les autres qui souffrent à cause de la cupidité humaine. »
On nage en plein délire car si à la place de Cecil connu pour avoir un temps intéressé quelques scientifiques on avait tué un vieux lion lambda, personne ne parlerait de cette affaire. Accessoirement, Mugabe qui cherche à détourner avec cette affaire l'attention portée sur sa politique... controversée on va dire, se fiche du monde en réclamant l'extradition de Palmer - il sait très bien qu'il ne l'obtiendra jamais, les USA pas davantage que la plupart des pays n'extradant jamais leurs ressortissants s'ils consentent à les juger pour des délits commis à l'étranger. Mugabe, en outre, avalisait cette pratique des licences coûteuses contre des droits de chasse; qui rapportent des sommes considérables à l'état et à la caste qui le phagocyte.
On se demande de quel droit, par je ne sais quel impérialisme occidental bien pensant, nous prétendons une fois de plus gérer les problèmes de l'Afrique en lieu et place des Africains.
Tel Landais, par exemple, jusque là un illustre inconnu se crée une notoriété à bon compte en faisant savoir au monde qu'il lance une pétition ; ne ferait-il pas mieux de se préoccuper du sort des ortolans et autres migrateurs massacrés par dizaines de milliers dans son département avant de se préoccuper de la faune africaine? Il faut dire que compte tenu des moeurs éminemment pacifiques de certains chasseurs du sud-ouest, ce serait sans doute plus risqué.
A cet égard, Courrier international (et bigbrowser), sans cautionner cette pratique de chasse, remettent les choses en perspective. Qu'en pensent les habitants du Zimbawe?
“Oui, c’est cruel. Mais je ne comprends pas toute cette histoire. Il y a tellement de problèmes plus pressants au Zimbabwe, nous connaissons des pénuries d’eau, nous n’avons pas d'électricité, pas d’emplois… et les gens font tout ce bruit pour un lion ?” s’étonne Eunice Chunice, une habitante de la capitale Harare citée par le site New Zimbabwe.
"Honnêtement, je suis choqué par toute l’attention portée à la mort du lion Cecil alors que mon pays a des problèmes bien plus graves et urgents", abonde un journaliste radio, Eric Knight, cité par un site local, dénonçant le désintérêt international pour la crise économique et l'instabilité politique du pays :"Par contre quand un lion est tué, là, le Zimbabwe fait la 'une' des journaux du monde entier. S’il vous plaît, un peu de respect. Depuis quand les lions sont-ils devenus plus importants que les êtres humains ?"
"Un défenseur de la démocratie, Itai Dzamara a disparu depuis plus de quatre mois, mais ça, ça ne suscite pas le même engouement international", ironise ainsi le Zimbabwe Daily.
Quant aux données humaines du Zimbabwe, elles ne sont guère plus réjouissantes: l’espérance de vie ne dépasse pas les 52,7 ans, 72,3% de la population vit sous le seuil de pauvreté et le pays est classé 172e dans la liste des pays par indice de développement humain. "Le lion Cecil menait une meilleure vie que de nombreux Zimbabwéens".
Jusqu'au patronyme du lion qui pose problème au Zimbabwe, tant il est révélateur de la vision ethnocentrique occidentale.
Contrairement aux touristes, peu de Zimbabwéens interrogés dans la capitale avaient entendu parler du lion Cecil, note par ailleurs New Zimbabwe. Du côté des Zimbabwéens "Cecil" est plutôt associé au colonisateur britannique et magnat des diamants Cecil John Rhodes — leur rappelant ainsi le temps où leur pays s'appelait Rhodésie du Sud —, comme le souligne la BBC. Et l'article d'ajouter : "Curieux choix de nom, pour un lion du Zimbabwe : c’est comme si, en Erythrée, on avait appelé un lion du zoo d’Asmara Benito, en référence à l’ancien colonisateur italien Mussolini"
Autre motif d'agacement des Zimbabwéens : nombre d’entre eux sont victimes, chaque année, des attaques de crocodiles, lion et autres animaux sauvages, et ce dans l’indifférence générale.
"Les Américains ne réagissent jamais quand des villageois se font tuer par des lions et des éléphants", s’indigne ainsi une habitante citée par l'agence de presse Reuters — c'est aux Etats-Unis, en effet, que l'indignation suscitée par la mort de Cecil a été la plus virulente : samedi, un portrait géant du félin a été projeté sur la façade de l'Empire State Building à New York. Constat partagé par un éditorialiste du Telegraph, qui, dans un article intitulé Arrêtez de parler du lion Cecil, s’il vous plaît, écrit :
"Si Cecil avait été un Africain tué par un dentiste, il y aurait eu moins de gens pour partager cet article et moins de gens auraient exprimé leur indignation."
Ce sera notre conclusion.
benjamin borghésio