Le spectre de la déflation - Y est-on?
C'est un truisme d'énoncer que l'histoire ne se répète pas: elle ne fait que ça, avec de subtiles variations.
__________________
Ce qui vient à l'esprit quand on se réfère à 1929, ce sont les pertes en bourse générées par les krachs qui démarrèrent le processus alors que le phénomène n'était en soi pas dramatique: - 30%.
Quand vous ne perdez que vos avoirs, la pilule est amère mais vous vous retrouvez au niveau de ceux qui n'ont pas pu ou pas voulu épargner. Avec le krach de 1929 à Wall Street, par le biais des ventes à découvert, des citoyens lambdas perdirent de deux à vingt fois leur patrimoine et se retrouvèrent en faillite (des millionnaires ne perdirent "que" 80% de leur fortune. Avec ce qui restait, ils n'étaient pas à plaindre).
La vente à découvert pour les nuls (qui se généralisa dans les années vingt, cessant d'être accessible aux seuls spécialistes)
Au comptant, vous achetez une action à une valeur 100 en tablant sur une hausse (120, on va dire). Si votre pari s'avère exact, vous encaissez une plus-value de 20. Si l'action baisse à 80 et que vous décidez que ça suffit comme ça, vous avez perdu 20. Si l'entreprise perd sa réputation ou fait faillite, que son cours ne vaut plus rien, vous avez perdu votre mise (c'est beaucoup), mais pas plus.
A la fin des années vingt, l'euphorie fit croire que les arbres monteraient jusqu'au ciel (surtout le dow jones) et le dogme d'une progression illimitée poussa à spéculer à découvert: on achète 10 actions de 100 en déposant une couverture de 10% (100 pour jouer sur 1.000). On espérait les revendre à un cours de 120 quelques mois plus tard: Dans ce cas, on encaisserait une plus-value de 200 avec une mise initiale de 100... Mais si le cours est en réalité tombé à 80, on a perdu 200 pour un apport identique de cent: déjà motif à faillite.
Le facteur aggravant survint quand on encouragea les gens à emprunter pour spéculer. On ne jouait plus 1.000 avec une couverture de 100, mais 10.000 dont 100 possédés en propre, plus 9.900 empruntés: pertes de 2.000 pour cent quand les cours avaient baissé de 20% et quand il fallait "livrer" les actions à l'expiration du contrat de prêt, solvabilité nulle. D'où les faillis qui se précipitèrent du haut des gratte-ciel (fait anecdotique: il ne furent qu'une poignée), la ruine des épargnants et des établissements bancaires (perte de dépôts)
Pourquoi la grande récession qui suivit?
Quand on analyse la situation des économies en général, celle des USA en particulier (moins interdépendantes que maintenant), il n'y avait aucun facteur "objectif" pour expliquer la crise: les champs étaient aussi fertiles, les sous-sols recelaient toujours minerais, charbon et pétrole en quantité, les usines conservaient leurs capacités de production. Rien à voir avec la situation de pays dévastés par une guerre ou une énorme catastrophe naturelle... En général ces drames les nations concernées se relevaient plus vite (exemple de la RFA dès 1947)
Et pourtant, l'économie des USA fut réduite à néant - davantage que si le pays avait éta rasé par des bombardements massifs en plus d'être touché par une épidémie de peste noire.
Pourquoi? A Cause de la perte de confiance. Les biens des voisins qui avaient spéculé sans que vous le sachiez sont saisis et vous les voyez prendre la route avec quelques effets sur une carriole.
Or leur situation était comparable à la votre, ce qui vous fait suer d'angoisse. (De nos jours c'est un peu plus civilisé; à peine. Aux USA, on reçoit encore des lettres enjoignant de renvoyer les clés de la maison à la banque sous quinze jours)
Angoissé, vous tentez de thésauriser pour avoir de quoi nourrir les gosses en cas de malheur. De l'or plutôt que de la monnaie, de la monnaie plutôt qu'un compte bancaire et bien sûr aucun placement. Consommation des ménages réduite pour accroître l'épargne de précaution... donc production en berne (personne n'achète). Accroissement des faillites d'entreprises faute de demande, et celles qui survivent n'investissent plus (personne ne fournit les fonds et de toute manière pourquoi investir, puisqu'on ne vend pas?). Multiplication du nombre de chômeurs faute de consommation et d'investissement, ce qui accroît la panique chez les survivants.
On en arrive à l'horreur économique absolue: la déflation.
Pour vendre, les entreprises baissent les prix - quitte à peser sur les coûts salariaux: le contexte n'incite pas à la défense des acquis sociaux... et c'est la déflation (baisse des prix et des revenus): pourquoi acheter maintenant ce qui sera moins cher plus tard, surtout quand en plus on a peur de l'avenir? La consommation de ceux qui pourraient encore dépenser - employés protégés, rares rentiers aux revenus garantis - s'en trouve freinée d'autant et le puits est sans fond.
***************************************
Certes il y a des amortisseurs qui font que les secousses ressenties au XXIe siècle PEUVENT être moins violentes lors de crises majeures du système. Mais leur corollaire... c'est qu'elles durent plus longtemps et aujourd'hui comme auparavant, on n'en sortira qu'avec le rétablissement de la confiance. Et quand on voit les indicateurs objectifs actuels...
- Indice du moral des ménages qui n'a jamais été aussi bas.
- Croissance nulle voire récession dans la majeure partie de l'Europe, même en Allemagne: le pays est freiné par l'atonie des voisns (révélateur de l'esprit déflationniste: le consommateur voit de moins en moins l'intérêt d'acheter au prix normal ; il attend les soldes, les braderies et les sites de vente de produits d'occasion connaissent un succès grandissant). Le pouvoir se décide à reconnaître - du bout des lèvres - que ses objectifs surréalistes de croissance pour 2013 et 2014 ne sont pas crédibles.
On notera aussi les achats d'or qui demeurent importants bien que les cours restent élevés (le risque de perte est notable et la fiscalité est défavorable: mais l'acheteur pense qu'il lui restera toujours quelque chose et en outre, l'or se transmet de manière parallèle). Or s'il y a une épargne stérile pour l'économie, c'est bien l'achat de métal précieux - et ces périodes d'achat correspondent à celles des crises de confiance.
C'est un euphémisme de dire que dans ces conditions, si le pire n'est pas certain, il entre dans le domaine des probabilités.
Une contribution de J. Stiglitz. (lemonde.fr)
benjamin borghésio