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Le blog de benjamin borghésio
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18 juin 2013

La mort d'un Grand - Maurice Nadeau a tiré sa révérence.

 

L'auteur de ce blog a le plus grand respect pour ces fils du peuple partis de rien et qui surent "renvoyer l'ascenseur" quand bien même il fut souvent en désaccord avec leurs positions, leurs évolution. Pupille de la Nation, orphelin de père et fils d'une maman illettrée, Nadeau a plus fait, comme éditeur, pour le mon de la littérature que nombre de cuistres qui se vautrent dans le milieu et qui naquirent avec une cuiller en argent dans la bouche.

Nadeau s'est aussi souvent trompé. Mais qui le lui reprochera? Surtout qu'il n'était pas frappé d'amnésie eu égard à ses erreurs. Il est mort centenaire, sans avoir jamais dételé.

L'auteur eut l'immense privilège de l'avoir approché à la sortie de l'adolescence en 1969. Il ne se pardonnera jamais cette occasion manquée, de rester au contact d'un Maître, manquée qui plus est pour des motifs "idéologiques".

1500939_3_5d4e_maurice-nadeau-a-paris-en-mai-2006Maurice Nadeau nait en 1912 à Paris, d'un père d'origine rurale "monté à Paris", coursier autodidacte mort au front en 1916 et qui transmit à ses enfants une bibliothèque d'autodidacte et le goût de la lecture. Il a l'opportunité de lire, très jeune, les lettres venues du Front à sa mère illettrée et sans ressources. De cette enfance il a gardé un sentiment essentiel: celui de l'injustice sociale.

1570080329A cette époque, au lieu de donner aux Veuves de Guerre le pécule suffisant pour leur permettre d'élever leurs enfants, on préférait les placer en nourrice. Nadeau se retrouve chez des ouvriers rémois avant de pouvoir revenir auprès de sa mère devenue cuisinière de restaurant. Malgré la désapprobation maternelle, il adhére à l'idéal communiste, s'inscrit aux Jeunesses et commence à militer. Il suit avec application autant ses études (c'est un excellent élève) que son catéchisme d'enfant de choeur et que l'école des jeunesses communistes, en montrant très vite une indépendance d'esprit, un sens critique incompatibles avec le stalinisme de l'époque.  En 1931, il déniche - aiguillé par paul Nizan qui tenait la librairie de L'Humanité - un livre de Léon Trotski, pourtant déjà exilé d'URSS. Il en parle en cellule, ce qui lui vaut d'être exclu du PCF.

Nadeau-1"Défroqué donc deux fois motivé" comme il le disait parfois, il milite alors activement au sein d'un groupe trotskyste, étant reçu à l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Le métier de professeur, "situation bourgeoise" par excellence le rebute et il demeure instituteur, refuse la vie en appartement, s'installant dans un meublé sordide avec sa compagne et future mère de ses enfants, Claire et Gilles (La première sera comédienne, le second réalisateur).

L'engagement en littérature, parallèle à l'engagement politique.

 

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Parti du trotskisme, Nadeau arrive curieusement sur les rives du surréalisme dont les intentions révolutionnaires sont très différentes (transformer la réalité par le langage): pour lui, il n'y a qu'un pas de l'un à l'autre. C'est le moment de la rencontre avec André Breton (militantisme commun pour dénoncer l'épisode putride de la mise en camp de concentration des Républicains espagnols par le pays des Droits de l'Homme). Pendant la guerre, il résiste en compagnie de David Rousset, toujours au sein de l'Organisation trotskiste qui manqua de mourir en déportation.

camusA la Libération, Nadeau publie  une Histoire du surréalisme (Seuil, 1945) qui le brouille avec Breton, lequel lui reproche de l'avoir ainsi tranformé en "objet historique", mais le livre rencontre un succès qui fait connaître Nadeau à Pascal Pia, directeur du journal Combat et à son éditorialiste Albert Camus. A partir de ce moment il en dirige les pages littéraires avant de prendre la responsabilité du titre en 1951. Nadeau multiplie alors les engagements, souvent positifs, parfois erronés (il est facile, avec le recul du temps, de les juger comme tels)

C'est lui qui fait connaître Roland Barthes en publiant ses premiers écrits. Il scandalise une part de l'opinion en défendant Henry Miller, poursuivi pour outrage aux bonnes mœurs. Il est le premier à parler de Samuel Beckett, mais il commet sa plus grosse erreur d'éditeur en ne le publiant pas. C'est la rupture avec les pontes de l'avant-guerre et Nadeau s'intéresse de plus en plus au style. Peu lui importe "la conformité idéologique": ce qui compte, c'est la singularité du regard, l'implication d'un écrivain dans son monde. D'où le brillant essai qu'il consacre à Flaubert, le Roi du style et l'anti-bourgeois achevé, à qui il a consacré un essai, d'où les références multiples à Kafka à qui il voue un culte.

Mauriac, Maurois, Jules Romains, Chardonne, etc. sont placardisés par Nadeau quand Bataille, Queneau, Ionesco sont mis en valeur. 

celineNadeau fait scandale en 1947 en remettant Sade (alors interdit) en avant, il soutient l'écrivain Céline, ultra-collabo interdit de séjour en France pour antisémitisme mais qu'il ne veut voir que sur le plan littéraire et, très curieusement par rapport à sa ligne personnelle, il se passionne pour le catho militant Bernanos, démontrant ainsi sa cohérence, son refus pour la littérature de la conformité idéologique.

En 1947, il publie aux éditions du Pavois Les Jours de notre mort, récit de son ami trotskiste David Rousset, revenu d'Auschwitz. Ce qui sera son premier livre d'éditeur, qui construit sa réputation. Il ne cessera de "nomadiser" de maison en maison et sera critique littéraire tant à France-observateur qu'à L'Express, peu de temps membre du jury Renaudot dont il démissionne. Il crée chez Julliard une revue littéraire, Les lettres nouvelles, avec une collection du même nom, interrompues faute de bénéfices, reprises un temps par Denoël, sans plus de succès.

Il garde jusqu'au bout sa haine des apparences bourgeoises et ses utopies ouvriéristes qui le rendaient parfois un peu ridicule, il faut le reconnaître (voir sa défense inconditionnelle de Knobelpiess, innocent, forcément innocent de par ses origines populaires. On sait ce que la suite a démontré). Il n'empêche: cet homme de lettres, cet éditeur qui n'a jamais cessé de travailler (les tentatives de sauvetage de la Quinzaine littéraire fondée en 1966 qu'il entreprenait dans l'indifférence générale).

Nadeau, est alors un découvreur de talents incomparable, à qui il mettait le pied à l'étrier avant qu'ils ne passent à la concurrence où les droits d'auteurs sont plus conséquents et versés avec davantage de régularité (l'homme a toujours refusé l'imposition de contrats léonins à "ses" auteurs). On citera en vrac : Claude Simon, Georges Perec, Varlam Chalamov, Maurice Bataille, Michel Leiris, Roland Barthes, Nathalie Sarraute, Henry Miller, Leonardo Sciascia, J.M.Coetzee, Bruno Schultz, Robert Antelme, Arthur Koestler, Hector Bianciotti, Louis Guilloux, même Michel Houellebecq... (liste loin d'être exhaustive)

france_affiche_krivine_1969Nadeau demeure constamment engagé en politique. Il suit de loin la constitution de " la Ligue " d'Alain Krivine en 1969 ** (c'était une de ses "plumes" lors de sa campagne présidentielle). Ses rapports avec Sartre sont compliqués. Amitié personnelle, mais refus de partager les outrances et les fatwas du Grand Homme (opportuniste à la limite de la collaboration intellectuelle jusqu'en juin 1944, puis stalinien, puis maoïste). Nadeau a dénoncé sans ambiguïté la torture en Algérie: les signatures du célèbre manifeste des 121, qui incitait les appelés à l'insoumission ont été recueillies dans son bureau des Lettres nouvelles à la suite de quoi la police l'a embarqué (il a bénéficié d'un non-lieu)

 

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Maurice Nadeau est mort le 16 juin chez lui, à Paris, à l'âge de 102 ans.

De lui, il reste quelque chose de vivant: la petite maison d'édition Maurice Nadeau. Assez prestigieuse pour que le maroquinier Louis Vuitton y finance une collection de littérature de voyage. Et La Quinzaine, cette revue bricolée, sauvée in extremis quelques jours avant sa mort.

Fasse la providence que ces deux réalisations survivent à leur créateur!

** L'auteur de ce blog a connu (de loin) Nadeau à cette époque, de mars à octobre 1969. Il ne se pardonnera jamais cette occasion manquée, d'approfondir une relation possible avec un tel Maître

DATES

21 mai 1911 Naissance à Paris
1945 Publie son «Histoire du surréalisme» (Seuil)
1945 Dirige les pages littéraires de «Combat»
1951 Directeur de «Combat»
1953 Fonde la revue «Les Lettres nouvelles» chez Julliard
1965 Poursuit chez Denoël la revue et la collection «Les lettres nouvelles»
1966 Fonde «La Quinzaine littéraire»
1977 Fin des «Lettres nouvelles» (revue et collection) chez Denoël
1977 Crée les éditions Lettres nouvelles-Maurice Nadeau
1979 Crée les éditions Maurice Nadeau
Mai-juin 2013 Sauvetage de «La Quinzaine Littéraire»
16 juin 2013 Mort à Paris

BIBLIOGRAPHIE

Histoire du surréalisme (Seuil, 1945)
Le Roman français depuis la guerre (Gallimard, "Idées", 1963)
Michel Leiris et la quadrature du cercle (Les Lettres Nouvelles, 1963)
Gustave Flaubert, écrivain (Denoël, 1969, rééd. Maurice Nadeau, 1980)
Un coupable idéal, Roger Knobelspiess (avec Serge Quadruppani, éd. Maurice Nadeau, 1985)
Album Gide (Bibliothèque de la Pléiade, 1985)
Grâces leur soit rendues. Mémoires littéraires (Albin Michel, 1990)
Sade, l'insurrection permanente (éd. Maurice Nadeau, 2002)
Une vie en littérature. Conversations avec Jacques Sojcher (Complexes, 2002)
Journal en public (éd. Maurice Nadeau, 2006)

Maurice Nadeau, éditeur génial et désargenté, mort à la tâche (lien)

benjamin borghésio

Eléments recueillis sur bibliobs.com et lemonde.fr pour rédiger cette note.

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Commentaires
D
juste une remarque ...<br /> <br /> <br /> <br /> Belle image du Camus de mon enfance ... <br /> <br /> Une des rares sans la cigarette ^^ ( ou bien est-elle passé par la censure ?)
B
En tout cas elle est sans complaisance pour moi. C'est par sottise pure que je suis passé à côté de la fréquentation de ce grand homme.<br /> <br /> Un des quelques grands regrets de ma vie...
M
Une page très intéressante, mais sans complaisance<br /> <br /> Merci de cette objectivité
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  • Républicain, tendance "gauche jacobine". Préoccupé par les questions socio-économiques, de même que par les questions d'environnement . Amoureux du Brésil et de la Guyane. Photographe, grand lecteur, fondu de vélo.
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