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Le blog de benjamin borghésio
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19 juin 2013

Crise au Brésil : L'étincelle.

Dérive autoritaire?  Isolement qui empêche la Présidente de prendre le pouls de la société? Les manifestations sociales se multiplient et l'autisme des pouvoirs fédéral et locaux (Etats comme Municipalités) a de quoi inquiéter.

Ecrit le 16 juin, réactualisé le 18 juin

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Voir la première partie (lien)

 

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Salvador de Bahia 2Cette coupe du Monde à venir - précédée de la Coupe des Confédérations - est le révélateur de tensions grandissantes et les pouvoirs locaux ( le Brésil est un pays très décentralisé) comme l'état fédéral n'ont pas pris la mesure du mécontentement social.

Les milliards de dollars pas forcément appliqués là où ils sont nécessaires s'accompagnent d'expropriations pas toujours "soft" pour faire place nette aux compétitions: on a éradiqué des favelas qui sont certes des implantations illégales, mais qui répondent à un besoin crucial de logements à une distance raisonnable du lieu de travail (presque toujours, les propositions alternatives sont des logements soit trop chers, soit trop loin pour être acceptables, cas de Rio où on veut "déporter" des milliers de moradores à Niteroi, ce qui leur ferait au bas mot cinq heures de trajet par jour dans des bus chers, dangereux, bondés et inconfortables).

Le niveau d'instruction de la population ayant augmenté, o deus futebol n'a plus le même pouvoir magique qu'il y a vingt ans et les gens réagissent. L'expropriation "vigoureuse" (litote) de la Maison de l'Indien qui jouxte le stade Maracana et qui est une institution depuis le XIXe siècle a choqué du fait de son aspect symbolique. 

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Lire : les Indiens de rio veulent garder leur Musée (Courrier International)

CompValeRioDoce-05Il faut dire que depuis deux ou trois ans, la croissance est en berne (+1.2% cette année): le Brésil est encore (trop) dépendant de ses exportations de matières premières et la crise mondiale a pour conséquence une baisse de la demande (minerai de fer, soja, éthanol, etc.). Ajoutons à cela une remontée de l'inflation qui commence à être préoccupante (officiellement, 6 à 7% par an mais chacun s'accorde à dire que les statistiques ne reflètent pas la réalité).

Dans un premier temps, les amortisseurs habituels que possède un pays qui n'a pas abdiqué de sa souveraineté (comme la France) ont fonctionné: le pouvoir a pu maintenir des hausses de salaire en usant de l'arme de la dévaluation compétitive (un employé modeste se moque de savoir que voyager à l'étranger lui coûterait plus cher: il ne sort pas des limites de son état). Le cours du Réal est ainsi passé de 2,4 pour un euro à 2,86 à ce jour (projections: 3 à moyen terme) et tout allait bien surtout qu'un protectionnisme raisonné lui permettait de conserver son industrie... encore une arme que nous avons abandonnée!

10550_ext_arquivoMais le Brésil est arrivé au bout de cette logique - sauf à créer des déséquilibres trop importants. Déjà, on craint l'explosion d'une bulle immobilière (les programmes de construction s'éternisent malgré la remarquable agressivité des promoteurs), l'accession à la propriété pour les gens modestes (programme fédéral) marque le pas et surtout, le pays ne s'est pas encore lancé dans les trois principaux défis qui l'attendent.

- Venir à bout du "cauchemar bureaucratique" qui est un frein à toute action et qui génère énormément de corruption : la tentation est grande de sauter des étapes quand elles sont innombrables et ardues. La révolte gronde ces jours ci contre la corruption, cancer de la société.

 

burocracia- Créer un système éducatif public performant. Lula a réalisé le quantitatif en mettant tous les enfants dans des écoles. Il reste à réaliser le qualitatif: les professeurs sont le plus souvent payés une misère pour des semaines de 40 heures de cours dispensées à des classes surchargées, ils doivent parfois amener leur ventilateur personnel non pas par confort, mais simplement pour qu'élèves comme enseignants puissent "survivre". Dans certaines villes, la "journée" de travail d'un écolier est réduite à quatre leçons de moins d'une heure, chaque local étant attribué à trois, voire quatre classes qui se succèdent.

ESCOLA-PRECARIA

noticia_13532- Rattraper le retard énorme en infrastructures. Le réseau routier est calamiteux, il n'y a quasiment pas de trains (le TGV Rio - São-Paulo est encore repoussé aux calendes grecques alors que sa  mise ne fonctionnement diminuerait de 25% le trafic aérien global... Trafic chaque année plus difficile à mettre en oeuvre (hausse de 115% en dix ans, accroissement des infrastructures de seulement 40%, et pourtant les taxes aériennes sont conséquentes).

On n'imagine pas à quel point l'économie d'un sous-continent est handicapée lorsque tous les transports de fret sont réalisés en camions sur des routes dangereuses et hors d'âge, même pas sûres (les braquages de véhicules sont légion) Autres problèmes, en vrac... Plus de la moitié des habitations urbaines ne sont pas reliées à un système d'égoûts avec retraitement. La surpopulation carcérale atteint des niveaux alarmants (les prisons brésiliennes sont parmi les pires du monde et de toute manière la justice ne fonctionne à peu près pas)... Cette liste est loin d'être exhaustive (signalons toutefois que le SUS, système public de santé, encore très rustique selon nos critères, a progressé à pas de géant et continue de le faire, mais il part de si bas que le peuple manifeste là encore son mécontentement devant la médecine à plusieurs vitesses).

8e7c43e59bed1e44b63111ec1ec4c5e8La vieille Europe, suréquipée selon les standards internationaux, dépense 2.3% de son PIB pour réaliser ou conforter des infrastructures. La Chine leur consacre 7% quand le Brésil qui manque de tout plafonne à 2%. Non seulement ces dépenses donneraient du travail, mais elles constitueraient un investissement pour l'avenir qui justifierait parfaitement un endettement raisonnable (le Brésil a racheté toute sa dette extérieure et pourrait se le permettre)

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1306-BusBresilDans ce contexte quelque peu pesant, il y eut l'étincelle qui fit sauter le tonneau de poudre, à S. Paulo (plus grande ville du pays et capitale économique): une énième augmentation du prix du billet de transports en commun, qui est passé de 3 à 3,20 reais [de 1,04 à 1,11 euros]. Précisons qu'il n'y a pas de système d'abonnement mensuel: si on doit prendre - et c'est fréquent - deux ou trois bus pour arriver à destination, on paye à chaque fois pour embarquer dans des véhicules hors d'âge, inconfortables, sales, peu sûrs (pas de police des transports). Dépenser de 6 à 15 R$ par jour pour aller travailler quand on en gagne moins de 800 voire moins, c'est insupportable. Surtout lorsqu'aucune des promesses faites en vue d'améliorer le réseau n'est tenue.

8D'où les manifestations spontanées, réprimées avec une violence à laquelle les Brésiliens n'étaient plus habitués et qui rappellent aux quinquagénaires les temps pas si anciens de la dictature militaire.

Et surprise de constater que dans un premier temps, le Maire "petista" (du PT, parti des travailleurs) faisait chorus avec le Gouverneur de l'Etat (de droite) pour stigmatiser les manifestants et soutenir les tropas de choque de la police militaire, applaudir à des décisions aberrantes d'une justice qui fixait la caution des manifestants arrêtés à 20.000 R$ (ce qui signifie que 95% d'entre eux n'ont d'autre alternative que de rester incarcérés).

 

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4Paradoxe amusant: le quotidien conservateur "la Fohla", soutien inconditionnel du Gouverneur conservateur Alckmin, a dans un premier temps appelé à une répression maximale jusqu'à ce que ses propres journalistes fussent agressés et blessés par des policiers qui ont abusé des balles en caoutchouc, des lacrymos, des matraques et des grenades offensives à tir tendu. 

Avec un temps de retard, le pouvoir fédéral se décide à rectifier le tir et annonce que sa police enquêtera sur les excès des polices d'état. Cette réaction rétablira-t-elle la confiance entre Dilma Roussef et le peuple qui l'élut triomphalement? L'avenir seul le dira, mais le mécontentement fait tâche d'huile, les réseaux sociaux s'enflamment et les manifesttaions éclatent dans tout le pays.

 

3430921_3_594f_la-coupe-des-confederations-s-est-ouverte-a_39b8eb5856486a2cfc1fbda8510b95ceAprès les quatre jours d'affrontements violents à Sao Paulo, la Coupe des confédérations s'est ouverte à Brasilia hier sous les tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Entre 1.000 et 2.500 manifestants critiquaient devant les portes du Stade flambant neuf les sommes colossales englouties pour l'organisation des événements sportifs. Là encore, ils ont été dispersés par les troupes de choc et la police montée.

Il est clair que la fronde sociale s'installe jour après jour dans le pays: 8 000 personnes se sont rassemblées au même moment à Belo Horizonte pour réclamer l'amélioration des transports et des services de santé. La veille, les manifestants défiaient la police à Rio de Janeiro et d'autres protestos sont prévus partout dans le pays.

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15178449Pendant ce temps, la présidente ne contenait pas sa colère lors de son annonce, au micro, de l'ouverture officielle de la 9e coupe des confédérations qui se déroulera dans six grandes villes du pays.

Quand Sepp Blatter, président de la Fifa qui était à ses côtés l'a citée, les spectateurs ont répliqué par une énorme et interminable bronca. Question: l'ex résistante torturée pendant le dictature (la guerrillera, comme disent ses adversaires de droite) s'enferrera-t-elle dans l'autisme des gens de pouvoir coupés des réalités, ou saura-t-elle corriger le tir à temps?

 

Luiz-Inacio-Lula-da-Silva-20120802-size-598Il n'est pas indifférent de savoir que la semaine dernière, l'ex président Lula qui fait figure de vieux sage a disserté sur les situations venezuelienne et bolivienne, critiquant en demi teinte l'action de ses ex collègues et camarades, accusés de rechercher davantage le clivage que le rassemblement. Ne serait-ce pas un message subliminal?

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Réactualisation le 18 juin... Le Mouvement s'amplifie et fait tâche d'huile.

 

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3431804_6_c942_students-shout-slognas-after-taking-the_5c489d9f46a7b927f46617a576dc3635Le mouvement de contestation, spontané, après avoir été lancé sur les réseaux sociaux, atteint tout le pays. Il dénonce la hausse du coût des transports publics, la facture du Mondial 2014 et  la violence des forces anti-émeute paulistas qui avaient durement réprimé une manifestation similaire, faisant des dizaines de blessés.  L' ampleur du protesto atteint celles des manifestations de 1992 contre la corruption du gouvernement de l'ex-président Fernando Collor de Melo.

Outre Rio et São Paulo, d'autres grandes villes sont la liste s'allonge de jour en jour sont touchées: Salvador de Bahia, Porto Alegre, Vitoria, Curitiba, Maceio, Fortaleza, Belém, etc.

3431808_6_b7d2_un-jeune-bresilien-tient-un-drapeau-a-l-envers_c20d274b49f6845a28da57d50e5f7ff9

3431807_6_f3f7_protestors-are-reflected-on-the-glass-of-a_bf9d56f8fd49e2b7b6ed8c48fd9d61c9La principale manifestation s'est tenue à Rio, où 100 000 personnes se sont rassemblées. Si le début de la manifestation s'est déroulée dans une ambiance bon enfant, le centre de la ville a été en fin de soirée une scènes de guérilla urbaine, avec des pillages contre lesquels les manifestants pacifiques ont protesté. Un groupe de quelques dizaines de manifestants a pris d'assaut le parlement de l'Etat de Rio avant d'être dispersé par les policiers anti-émeutes. Des hommes du batalhão de choque de la police militaire ont fait usage de véhicules blindés de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, et ont procédé à plusieurs arrestations. 20 policiers et sept manifestants ont été blessés, dont deux par armes à feu.

 

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3431805_6_90bb_students-shout-slognas-during-a-protest-on_366f10c8ba11a4c7d1d2baaeb96de019Dans la capitale Brasilia, des milliers de jeunes se sont massés pacifiquement dans le quartier des ministères, après des heures de manifestation. Quelque 200 d'entre eux ont réussi à grimper sur le toit du Parlement.

 

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3431814_6_bf8a_demonstrators-shout-slogans-during-a-protest-in_376eb7de6051b042a68cbc3da9eba8cfA Sao Paulo, plus de 65 000 manifestants (Data Folha) ont défilé sans incident, bloquant l'immense avenue Paulista du centre de la mégapole. Un groupe qui tentait d'envahir le Parlement local a été arrêté par les gaz lacrymogènes de la police.

A Belo Horizonte, troisième ville du pays, la police a dispersé une manifestation près du stade où se déroulait le match Nigeria-Tahiti de la Coupe des confédérations de football, répétition générale en miniature du Mondial-2014.

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L'objectivité commande  de signaler que  le mouvement est important et rencontre une sympathie générale, et les titres de la presse aux ordres du groupe Globo qui citent  un total de 300.000 participants dans un pays de 200 millions d'habitants sont ridicules. Rien que la principale artère de São Paulo, qui représente plusieurs Champs Elysées, était noire de monde!  La grève générale prévue la semaine prochaine sera un indicateur objectif, gageons qu'elle sera massivement suivie, sauf si des concessions importantes sont faites dans les jours à venir.

Cacophonie au sein du pouvoir.

Aldo Rebelo, ministre des sports: "Nous ne permettrons pas que des manifestations perturbent les événements que nous nous sommes engagés à réaliser".

Dilma Rousseff, Présidente :  "les manifestations pacifiques sont légitimes et propres à la démocratie C'est le propre de la jeunesse de manifester".

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Une grève générale est prévue pour le 26 juin, en mémoire de la première de ce type, qui eut lieu en 1917.

Ironiquement, le mot d'ordre s'appuie sur la devise du pays (Nous allons lutter pour un pays avec de l'ordre et du progrès)

benjamin borghésio

Photos:  Médias brésilien et "lemonde.fr"

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Commentaires
B
Là, il y a néanmoins un mécontentement profond qui trouve un moyen de se propager. Autre chose et je ne sais si c'est un bien ou un mal... Cela le dispense de leader pour exister et se développer<br /> <br /> Cette note, traduite par "google translate", fait son petit parcours autonome là-bas...
A
Une expression revient dans votre analyse, "sur le réseaux sociaux", apparemment anodine, mais qui signe, et pas seulement au Brésil, partout dans le monde, le débordement des gouvernants et des représentations électives. Effet de liberté et d'autonomie salutaire, peut-être, mais peut-être aussi tam-tam mondialisé de la réaction épidermique, de l'emballement irréfléchi.
M
Inquiétant !
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  • Républicain, tendance "gauche jacobine". Préoccupé par les questions socio-économiques, de même que par les questions d'environnement . Amoureux du Brésil et de la Guyane. Photographe, grand lecteur, fondu de vélo.
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